Quand nos eaux usées révèlent notre intimité : L’alerte d’un chercheur sur la surveillance des corps féminins et trans
Et si vos toilettes devenaient une fenêtre ouverte sur votre santé la plus intime ? L’idée d’analyser les eaux usées pour surveiller la santé publique gagne du terrain, mais elle soulève de sérieuses questions éthiques, surtout quand il s’agit de la vie des femmes et des personnes transgenres. C’est l’alerte lancée par le Dr Nicolas Le Dévédec, sociologue à l’Université du Québec à Montréal, qui met en garde contre les dérives potentielles de cette technologie.
La « promesse » de la surveillance par les eaux usées
L’analyse des eaux usées, ou « épidémiologie des eaux usées », est présentée comme un outil innovant pour la santé publique. Elle permettrait de détecter des traces de virus (comme le Covid-19), de drogues, ou même des marqueurs de stress à l’échelle d’une population. Pour les corps féminins et transgenres, cette surveillance pourrait révéler bien plus :
- Des hormones liées à la contraception, la grossesse, la ménopause.
- Des marqueurs du cycle menstruel.
- Des traitements hormonaux de substitution (THS) pour les personnes trans.
- Des traces d’infections sexuellement transmissibles (IST).
Les partisans y voient un moyen de suivre des tendances de santé, d’évaluer l’efficacité de campagnes de santé publique ou de détecter des épidémies. Mais Le Dévédec insiste sur le fait que la technologie avance plus vite que la réflexion éthique.
Les dangers de la « surveillance de l’intime »
Le chercheur pointe des risques majeurs qui menacent la vie privée et les droits fondamentaux :
- Identification individuelle ? Bien que les données soient agrégées, la précision des analyses pourrait permettre de cibler des quartiers, voire des bâtiments, et potentiellement de « dé-anonymiser » des informations sensibles.
- Discrimination et répression : Imaginez des données sur la contraception, les grossesses ou les THS utilisées par des assureurs, des employeurs, ou pire, des gouvernements. Dans des contextes où les droits reproductifs sont menacés (comme aux États-Unis avec l’avortement), ces informations pourraient servir à discriminer ou à réprimer.
- Surveillance ciblée : Il serait possible de surveiller spécifiquement des communautés, des groupes sociaux, ou des établissements comme des cliniques.
- Manque de consentement : Contrairement à un prélèvement sanguin, personne ne donne son consentement éclairé pour que l’eau de ses toilettes soit analysée. Qui est propriétaire de ces données intimes ?
- Interprétation erronée : Les données brutes issues des eaux usées sont complexes et peuvent être mal interprétées, conduisant à des conclusions erronées sur la santé ou le comportement d’une population.
Un appel urgent à la vigilance
Pour le Dr Le Dévédec, il est crucial d’établir un cadre éthique et légal robuste avant que cette technologie ne se généralise. Il ne s’agit pas de rejeter l’innovation, mais de s’assurer qu’elle respecte les droits fondamentaux et ne devienne pas un outil de contrôle ou de discrimination.
La discussion doit être ouverte et impliquer la société civile, les experts en éthique, les législateurs et les populations concernées. Nos eaux usées ne devraient pas devenir un vecteur de surveillance invisible et non consensuelle. L’intimité de nos corps, quelles que soient nos identités, mérite une protection inconditionnelle.